Ici-F9OE

En route pour la "tournée du Nord", c'est-à-dire de Bordeaux à Bordeaux en passant par le Havre, Dunkerque, Anvers, Rotterdam, Amsterdam, Hambourg, Brême...
14 jours d'élève seulement et je me retrouve seul... Nous sommes en 1958 et la pénurie de radios sévit. Le rêve "3 mois élève sur un paquebot vers l'Amérique du Sud" est bien loin !
Ne te plains pas, tu l'as assez voulu...
Le trafic en mer du Nord est assez intense et les quarts ne sont pas monotones. Le secteur est l'un des plus fréquentés au monde, 20 % en gros du trafic maritime mondial et, du côté de Dunkerque, cela ne fait qu'une trentaine de kilomètres de large ! On se double, on se croise et quelquefois à 90 degrés, les liaisons continent-Grande-Bretagne étant nombreuses.

L'essentiel des quarts (4 fois 2 heures) consiste en la veille permanente des fréquences de détresse 500 kHz (CW) et 2182 kHz en téléphonie. Chaque heure, de 15 à 18 et de 45 à 48 sur 500 kHz et de 00 à 03 et 30 à 33, sur 2182, le silence s'établit et chacun est attentif aux éventuels signaux d'urgence. Malheur à celui qui n'observe pas ces réglements, un comminatoire SP (silent period) en CW lui enjoint de cesser sa transmission. Pour matérialiser ces périodes de silence, les pendules des postes radio comportaient quatre secteurs de couleur (rouge pour la CW, verte pour la téléphonie). On trouve encore des répliques de ces montres dans les "Coop" de la marine mais les vraies sont rares...
N'oublions pas la réception des bulletins météo, l'acheminement des télégrammes avec la Compagnie et ceux destinés aux membres de l'équipage.



Merci à André F6GIN de m'avoir "prêté" sa très belle montre ! Les secteurs rouges à la périphérie sont là pour aider à la transmission du signal de détresse (11 traits de 4 secondes espacés d'une seconde)


Les stations côtières étaient très actives. En France on trouvait FFM Marseille, FFC Bordeaux-Arcachon, FFU Brest- Le Conquet, FFB Boulogne sur mer, mais aussi OST Ostende, PCH en Hollande, GLD en Angleterre, DAN en Allemagne... Toutes ces stations ont cessé leurs émissions vers 2000.

Le trafic s'effectue en CW dans la bande 500 kHz sur quelques fréquences pilotées quartz mais aussi sur ondes courtes (bandes 4, 6, 8, 12 , 16 et 22 MHz) toujours en CW, les cargos n'étant généralement pas équipés en téléphonie à cette époque. Régulièrement les stations côtières lancent leurs listes d'appel consistant en la transmission des indicatifs des bateaux (4 lettres) pour lesquels ils ont du trafic.
Comment ne pas rendre hommage une fois encore à leurs opérateurs et en particulier à ceux de la station FFL de St Lys (près de Toulouse) qui veillaient 24h/24 sur les fréquences OC, mettant tout en oeuvre pour garder le contact avec les bateaux disséminés sur toutes les mers du globe. La liaison n'était pas toujours facile et je me souviens de créneaux horaires qu'il ne fallait pas manquer, en particulier du côté du Japon. Dans cette zone FFL était reçu très fort (j'allais écrire S9 !) mais avec un écho qui rendait quelquefois la transmission incompréhensible. Difficile de choisir le chemin (short ou long path ?) quand on ne dispose que d'un long fil de 80 ou 100 m !
La station St Lys Radio fut créée en 1948. Elle cessa ses émissions le 16 janvier 1998. J'ai eu l'occasion de suivre sa dernière vacation. Un moment émouvant car de nombreuses stations de bord avait tenu à venir les remercier.
Une association perpétue souvenir et patrimoine :
http://www.ville-saint-lys.fr/06culture_asso/sous_rubrique1.9.htm
Actuellement il reste Monaco Radio, qui "ferme l'antenne" le 1er janvier 2008...

Je lis ici et là que certains pays remettent en service des stations sur 500 kHz et que d'autres distribuent quelques autorisations à des radioamateurs sur cette fréquence... Vous en saurez plus en visitant le site des Anciens Marins Radio (AMARAD) http://www.amarad.org/ . Ce site abrite également QST44 mensuel réalisé par F6GIN, un ancien MM. On y parle entre autres navigation mais aussi matériels. Pour les amoureux de la CW, surtout n'oubliez pas d'aller lire cette prière : http://qst44.monsite.orange.fr/page1.html

"Il y a longtemps que tu ne nous parles plus de navigation... " C'est vrai, je m'égare un peu ces derniers temps ...
Bon on y retourne !

Nous sommes le 14 juillet 1958. Je traverse Paris en fête au mileu des pétards et des bals de quartier. J'ai rendez-vous avec le Daloa le 15 au matin. Je suis heureux mais bougrement angoissé...
Bordeaux, les quais, le taxi sait où est amarré le bateau ! Ils ont l'habitude de la clientèle des navigants et en 1958 l'activité portuaire est grande.
Le bateau me parait immense, en fait une centaine de mètres et 10 000 tonnes de port en lourd. Il revient de la côte d'Afrique. Le pont est couvert de billes de bois d'un diamètre impressionnant.



Le Daloa quelque part sur la côte d'Afrique. 5 étoiles sur la cheminée... Les anglais nous appelaient "la cognac line"...

Je fais connaissance avec l'officier radio Louis K. Avant tout mouvement il y a des rites auxquels il est impensable de se soustraire. Le pot d'arrivée. Ce sera une "Bicyclette". Kesaco ? On m'explique que c'est la spécialité Chargeurs Réunis, comme le punch l'est à la Transat ! Ne me demandez pas d'où vient l'origine de ce nom, si je l'ai su je ne m'en souviens plus. Il s'agit de Champagne mélangé, dans une grande soupière, à du Noilly Prat ...
Je n'ai pas les moyens de "rincer" le carré car cela fait beaucoup de monde, ceux qui embarquent, ceux qui débarquent... Je commence donc ma navigation en demandant une "avance" !

Le Radio doit débarquer au Havre (il abandonne la navigation et ses commentaires sur celle-ci ne sont guère encourageants !). Il me prévient fort aimablement : "Je serai dans ma cabine, n'hésitez pas, mais essayez de vous débrouiller seul !". Il a eu raison, c'est la meilleure méthode. J'ai mis un point d'honneur à ne le déranger qu'une seule fois... Je dois à la vérité de dire qu'il n'y a pas eu panne de matériel, ma grande hantise...
La station radio FPYX n'est pas à proprement parler très moderne. L'émetteur (400 W) est piloté quartz ; il fonctionne uniquement en CW. Le récepteur est une vieille connaissance, un BC348. Il glisse pas mal, quelquefois il est presque en phase avec le roulis !
Un émetteur-récepteur téléphonie bande 2 MHz délivrant 40 W et un récepteur bande 500 kHz complètent l'installation. J'allais oublier le récepteur de secours 500 kHz qui est "à réaction". Il est bon de rappeler que les règlements imposent l'embarquement d'un radio, avant tout, pour la sécurité de la vie humaine en mer, d'où la veille sur 500 kHz, fréquence qui a sauvé la vie de nombreux marins.
Le Radio a également la charge d'un radio-goniomètre et d'un radar. N'oublions pas les batteries qu'il faut bichonner et maintenir en forme, seule source d'énergie en cas de panne des groupes. Un émetteur-récepteur de détresse (1 watt) à ne pas négliger non plus, lequel se présente sous la forme d'une bonbonne jaune insubmersible et utilisé lors de l'abandon du navire. Il nécessite l'aide d'un collègue pour "mouliner" car l'énergie est produite par une magnéto incorporée. Je n'ai jamais eu l'occasion (disons la chance) de me servir de cet outil sauf pour des exercices ...

Les cargos sont astreints à H8 (c'est-à-dire quatre fois deux heures de veille par 24 h). En dehors de ces vacations, un appareil auto-alarme équipé de relais (l'air salin et les contacts ne font pas bon ménage) est là pour déclencher une sonnerie au poste radio et à la passerelle, lors de la détection du signal d'urgence (succession de traits en principe bien calibrés). De temps en temps le QRN (les statiques sont parfois très violents) fait déclencher l'appareil. Dans le doute mieux vaut écouter le 500 kHz pour rien...
Ici il n'est plus question de ne pas "faire le QSO". Il y va de la vie humaine mais aussi de gros sous. C'est cher un cargo avec son chargement ...