28/09/2010
Lettre radiomaritime
Nous sommes en 1960. Le trafic radio sur les cargos n'est guère intense et cela m'attriste un peu. Quelques messages de la Compagnie, surveillance des listes d'appel des stations côtières et de St Lys radio. Parfois des télégrammes pour l'équipage, apportant bonnes mais aussi mauvaises nouvelles. C'est quelquefois dur et l'aide du Pacha est appréciée. Apprendre en mer la disparition d'un être cher à plusieurs milliers de kilomètres et souvent à de nombreux jours de route d'un port est un moment très difficile... Il faut pourtant poursuivre la tâche et sans cellule psychologique... Uniquement le soutien des collègues du bord.
Ai-je déjà dit que la dernière formalité, agréable celle-là, après l'examen consistait en la prestation de serment qui stipulait l'interdiction de divulguer le contenu des correspondances et même leur existence ? Plus de 50 ans après je ne me sens pas libéré de ce serment prêté devant le représentant des PTT, un certain André Cuny, F8MD, bien connu des Anciens puisque ce dernier venait (en ce temps-là à domicile) faire passer l'examen radioamateur et vérifier la station.
Rarement eu d'incident professionnel durant ma navigation mais un second-capitaine, assidu du poste radio, avait disons "le regard en biais" et une fâcheuse tendance à lire par dessus mon épaule, ce qui m'a valu un jour une remarque pour le moins acerbe du Pacha... "j'aimerais bien être le premier informé ... après vous". Pas toujours facile de "virer" un second-capitaine, numéro 2 du bord, vous en conviendrez. Est-ce cette prérogative qui tissait quelquefois des liens privilégiés avec le commandant lequel, à cette époque, ne pouvait recevoir les informations que par le biais de son radio ? Situation qui créait parfois de la jalousie avec les autres membres du carré.
Parmi ces télégrammes, des lettres radiomaritimes (SLT). Il s'agissait de télégrammes acheminés radioélectriquement entre la station côtière et le bateau puis par poste entre la station côtière et le destinataire (ou l'expéditeur). Taxés pour 20 mots minimum ( 0,125 franc-or par mot supplémentaire), 2,50 francs-or pour la taxe de bord et 2,60 pour la taxe côtière. Franc-or ? késaco ? En fait une monnaie de compte utilisée par la BRI (Banque des Règlements Internationaux) qui vécue jusqu'en 2003. L'expéditeur payait bien entendu en francs français grâce au coefficient qui nous était communiqué chaque année.
Pour envoyer une SLT, l'expéditeur était tenu de signer une déclaration attestant que le texte était rédigé en langage clair ... et qu'il n'avait pas une signification différente de celle qui ressortait de son libellé ! Ah mais ! des fois que "Arrivée Bordeaux le 23 juin vers 15 heures" signifierait "Ferons sauter le cargo même endroit, même date, même heure". Ne riez pas. On n'est jamais assez prudent. Ces précisions figuraient dans un ouvrage que nous appelions "la SF", véritable bible du radio de bord.
Mes collègues radioamateurs anciens radios /MM se rappelleront qu'il fallait, pour l'examen, apprendre à peu près par coeur les 125 pages de cette "Instruction SF à l'usage des stations de radiocommunication du Service mobile". Des textes officiels cela ne s'invente pas ! Pas question de broder. Je conserve pieusement mon exemplaire, des traces de sueur sont encore visibles !
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12/09/2010
Longévité
En Bretagne (comme dans beaucoup de nos belles provinces d'ailleurs), ils et elles sont tous cousins/cousines.... L'autre jour, en cette période de vacances qui apporte beaucoup de monde sur le littoral (c'est vrai que l'on a plus de visites quand on réside en bord de mer que lorsqu'on occupe un 3 pièces dans une rue sombre de nos grandes villes)... Je m'égare. Douce Moitié disais-je, a invité récemment un lointain mais sémillant cousin, âgé de 88 printemps. Fort intrigué par mes antennes, la conversation a vite roulé sur la radio.
"Je me suis engagé en 1939 pour la durée de la guerre après mon cours de radio dans le Morbihan mais le trafic ne m'intéressait guère, mon plaisir était dans le dépannage...". J'ai pensé qu'il devait être ravi d'avoir évolué en un temps où l'on ne jetait pas le poste parce qu'une résistance de 10 k avait fumé...
Il a bien entendu tenu à visiter la station et, à la vue du manip', il n'a pas résisté. Quasiment sans faute, il a manipulé le texte de la couverture d'une revue qui traînait sur le bureau... "Vous voyez, le Morse c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas !". Il y a lontemps que je le pense. Puis il a rajouté "de mon temps on disait que les radios étaient un peu ... fêlés, est-ce toujours ainsi ?". Là j'ai changé de conversation. A lui de juger.
Après cet intermède radioélectrique nous sommes partis vers le canal de Suez où il avait vécu enfant, son père occupant un poste important dans la fameuse Société du canal. Ce fut pour moi (chacun son tour) l'occasion d'un retour en arrière, vers 1960. Une anecdote m'est revenue en mémoire. C'était lors d'un voyage sur l'Indochine. Halte à Port Saïd. L'attente est quelquefois longue avant de constituer le convoi et j'ai le temps pour une escapade en ville. Auparavant il me faut vous dire que les navigants n'avaient ni passeport ni visas mais un "livret maritime" qui renfermait photo, nom, prénom, le nom du bateau, les dates d'embarquement, votre spécialité... en résumé pedigree et passé maritime.
Débarqué de la vedette, la police (ou les services de l'immigration, je ne me souviens plus), feuillette mon fascicule avant de le ranger dans un tiroir. Ne parlant que très mal l'égyptien (!) je n'ai pu faire comprendre que privé de ce sésame, il me serait difficile de justifier de mon identité lors d'un éventuel contrôle en ville... Peine perdue.
Balade sans histoire qui serait restée un magnifique souvenir si, au retour, en repassant chercher mon livret avant de reprendre la barcasse qui devait me ramener à bord... A voir les manipulations de paperasse et les nombreuses ouvertures de tiroirs, j'ai vite compris que l'objet s'était égaré. Qui sait, pire peut-être, donné à un marin de je ne sais quel bateau, parti pour je ne sais quelle destination...
J'ai patienté, disons une bonne heure, avant de retrouver mon bien.
A bord, je ne pensais pas déclencher des sourires en coin en narrant mon incident. Ces (mauvais) camarades, habitués de la ligne, avaient "oublié" de m'indiquer que, parfois, un billet négligemment inséré dans les pages du fascicule, accélérait considérablement voire éliminait tout délai de recherche.
Cousin, Canal et CW, trois beaux exemples de longévité non ?
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