22/03/2014
La croisière s'amuse ?
En rendant visite à mon ami F8EMP, comme moi ancien radionavigant, je suis tombé sur le journal annuel des Anciens de la Société Navale Caennaise. Un beau journal, fort bien présenté et illustré d'excellentes photos. J'aimerais semblable publication pour feu les Chargeurs Réunis...
Parmi les articles, l'un deux a retenu mon attention ; en voici les trois premières lignes :
Extrait de "La Vie d'un Marin" de Jan de Hartog - 1954
Sans doute l'auteur de ces lignes a-t-il navigué dans une grande Compagnie nationale.
Les Opérateurs Radio
Cela commence assez bien ...
... l'opérateur radio ou plutôt l'officier radioélectricien, tel est son titre officiel, est l'un des membres les plus importants de l'équipage puisqu'il forme le lien entre le navire et le reste du monde. Il a conscience que le monde extérieur existe et, par conséquent il se sent un peu lié à lui. Il éprouve également et c'est là que les ennuis commencent, un sentiment de supériorité...
Oui, effectivement, une grosse responsabilité, accrue par le fait que le Radio - tout au moins sur un cargo - où il est seul à bord dans sa spécialité, n'avait aucune possibilité de remplacement en cas de maladie par exemple, ce qui n'était pas le cas pour ses collègues du Pont et de la Machine... Sentiment de supériorité ? non vraiment pas.
Sans infirmier et encore moins de docteur à bord, le Radio restait le seul qui pouvait joindre les services médicaux (Rome) des gens de mer pour obtenir directives et conduite à tenir envers un malade ou un blessé grave... Ce n'est qu'un exemple.
Cela se gâte ...
Pour vous faire une idée de la mentalité de l'opérateur radio, il vous suffit d'écouter les propos qu'ils échangent entre eux, de vive voix ou bien par sans-fil ou mieux encore avec les jeunes filles qui opèrent dans les grandes stations terrestres....
......plaisanteries, propos galants... Quel homme aborderait une femme en l'appelant "ravissante"...
Là on pourrait penser à une plaisanterie... Hélas il n'en est rien.
Ils en avaient de la chance ces Radios... mais restons sérieux (je naviguais en 1958...) et les anciens opérateurs des côtières (Marseille, Bordeaux-Arcachon, Le Conquet, Boulogne et surtout St Lys radio) pourront en témoigner, ce genre de propos n'avaient pas cours. Quant aux jeunes filles, comment savoir ? En CW c'était le classique BJR VX sans se soucier d'ailleurs du sexe de l'opérateur/trice (pardon Mesdames) et en phone un respectueux "Bonjour Madame ou Monsieur" selon le cas !
Mais dites-moi "écoutez les propos", cela suppose écouter aux portes ; ce n'est pas bien !
On atteint des sommets...
Les opérateurs radio ne prennent pas le quart, ils mènent une existence indépendante dans leur garçonnière... ils apparaissent, affublés d'oripeaux légers à des heures qui frisent la provocation...
... en robe de chambre, babouches arabes... se dirigeant vers la salle de bain muni de sa brosse à dents, de son rasoir, de sa boîte poudreuse à neuf heures du matin...
Pas de quart ? Quatre fois deux heures par jour sur les cargos et veille continue sur les paquebots...
Leur garçonnière ? ceux qui ont navigué sur un Liberty ship apprécieront !
Salle de bain ? disons la douche, généralement située à l'étage inférieur... Quel confort et quel luxe ! Quant à la boîte poudreuse, je me demande si Jan de Hartog n'a pas confondu avec un défilé de mode sur un paquebot ou une représentation de la "cage aux folles" ?
Poursuivons...
... cet intellectuel condescendant, toujours prêt à plaisanter et si bien coiffé qu'il pourrait poser pour le docteur Roja...
Il en est bien entendu de charmants...
Ouf ! c'est rassurant, pourtant en babouches, poudrés et "brillantinés" on pensait qu'ils l'étaient tous !
J'ai gardé la technique pour la fin...
... ils ont (les Radios) la manie d'expliquer l'inexplicable... c'est si simple ; les ondes magnétiques sont comme les rides concentriques qui se forment à la surface d'un étang lorsqu'on y laisse tomber une pierre, pas exactement une pierre, mais plutôt un presse purée que l'on ouvrirait et fermerait dans l'eau sur un rythme donné...
Suivant la fréquence désirée vraisemblablement...
Je dois admettre que le Radio était quelquefois jalousé... pas de service aux escales (encore que sa présence tous les jours de 9 à 11 h était imposée par des règlements internationaux) mais aussi (et surtout à mon avis) parce qu'il ne rendait compte qu'au Commandant (appelé aussi le Pacha et quelquefois le Vieux).
Loin de moi l'idée de faire passer le Radio pour un forçat ; j'ai écrit un jour (et je confirme) que "le radio était à bord le plus heureux après le chien" mais n'exagérons rien !
Ceux qui me lisent ne sont pas tous des anciens Radios mais ce blog a souvent parlé d'eux. Je demande l'indulgence mais je ne pouvais rester sans réagir à de tels propos.
Je suis de ceux qui s'inclinent en retirant leur casquette devant la mort mais pas de ceux qui trouvent ensuite au défunt toutes les qualités qu'il n'a pas eues.
Reposez en paix Jan de Hartog, mais si vous commettez aux Presses de l'Au-delà un nouveau livre sur le métier - hélas disparu - de Radio de bord, choisissez et vérifiez s'il vous plaît sources et exemples. Nous sommes encore, nombreux, prêts à vous aider.
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* A noter que dans certaines compagnies le Radio effectuait une journée de service au même titre que ses collègues du Pont et était également responsable du gyro compas, outil combien essentiel sur un bateau (à la Caennaise par exemple). Parfois il était aussi "marchand de soupe" (comprenez qu'il s'occupait de l'achat et de la gestion des vivres, donc indirectement des menus), situation quasi parfaite pour faire souvent l'unanimité contre lui ! C'était le cas à la Dreyfus. Aux Chargeurs Réunis, nous avions la chance de nous occuper des deux bibliothèques du bord.
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